jeudi 1 mars 2018

Avant le scénario : le protocole


Réflexions sur le protocole d’après l’article de STEERE, David, Le Protocole, AAT vol.11 n°41

Éric Berne, définit le protocole comme « le drame familial à conclusion insatisfaisante, qui est joué pour la première fois dans les toutes premières années de la vie ». (Avant 2 ans selon Steere).

Dans Analyse transactionnelle et psychothérapie, Berne, définit le scénario comme « le drame familial qui s’est joué pour la première fois sans les premières années de la vie du patient sans aboutir à un dénouement satisfaisant[1] ». Il s’agit de l’expérience originelle d’où découlent les réactions de transfert. Le scénario proprement dit étant un dérivé préconscient du protocole. Ce scénario est ajusté aux possibilités réelles grâce aux techniques d’adaptation. C’est ce scénario adapté que le patient tente de représenter dans la vie réelle en manœuvrant (inconsciemment) les gens qui l’entourent.

Pour Berne (1977), le protocole constitue le squelette du scénario. Il est le programme initial, qui par le manque d’expérience, de connaissances, de maturité psychologique et cognitive devra être mis à jour avec les années, par une « version plus civilisée » qu’on appelle communément en analyse transactionnelle, le scénario. L’enfant ne sait pas encore comment les choses fonctionnent[2] et il ne peut donc clarifier son expérience au temps t. Il faudrait pour cela, un adulte qui donne du sens aux éprouvés corporel de l’enfant[3], comme un miroir qui contient l’expérience et qui permet à l’enfant la création et l’organisation de représentations réparatrices. Le protocole est basé sur cet évènement déplaisant qui n’a pu être clarifié/retraité ou subjectivé par la suite.

« Quand nous acceptons profondément ce que nous sommes, en nous sentant vraiment compris par un autre, alors nous commençons à changer[4] »

Pour Berne, le protocole est inconscient, car en partie oublié. Oublié de la conscience, mais non du corps et du vécu. Il existe là quelque part, inscrit dans le corps et dans le ventre. On sait que ce qui est de l’ordre de l’inconscient s’inscrit à travers le temps comme n’ayant pas de temps tant que la parole ne lui donne pas ce temps. Le temps subjectif n’étant pas le temps de l’horloge, ni le temps de l’espace. Ainsi, je présuppose qu’au-delà de ce qui est de l’ordre du conscient, le temps chronométrique n’est plus. L’évènement reste comme figé tant qu’il n’accède pas à la conscience pour l’historiser et le situer dans l’espace et le temps. Ce qui a été est encore quelque part inscrit et visible dans le corps, le mouvement, la sensation, l’émotion, mais inconscient à la conscience verbalisable.

La suite de l’article de Steere montre, comme ce que dit Berne du protocole, que nous pouvons accéder à celui-ci par l’observation des manifestations corporelles. Berne, pense que le scénario est préconsicent, il entend par là qu’il est juste à la porte de la conscience et qu’il est possible de le mettre à la conscience par des techniques appropriées.  

Pour Cornell et Landaiche, le protocole est « un souvenir profond, contraignant et implicite, qui est revécu au niveau de l’immédiateté de l’expérience corporelle. [5]» Ainsi, le corps revit le souvenir. Et le comportement associé peut interférer sur la capacité à faire différemment, c'est-à-dire à adapter son comportement à la situation de l’ici et maintenant.

Selon Steere, le protocole est « le programme primitif qui gouverne le déroulement de la vie du client ». La personne cherche à retrouver et amplifier les bénéfices de son expérience originelle. Re produire ce qui s’est déjà passé, mais qui a été en partie oublié (ou plutôt refoulé dans l’inconscient, car la mémoire de la scène originelle reste en mémoire – une mémoire non verbale donc non nommable directement).

Les souvenirs liés à l’expérience originelle sont réprimés. Le scénario reproduit donc le protocole sous une forme adaptée aux situations réelles d’aujourd’hui. Dans ce scénario, les personnes qui entourent le client, jouent les rôles respectifs des personnes réelles qui étaient présentes dans la scène originelle.

On peut apercevoir la structure du protocole en regardant les séquences de comportements corporels de la personne. Ces séquences de comportements sont interprétées comme des signes scénariques. Selon Berne, un geste, une posture, un maniérisme, un tic ou un symptôme peuvent être des signes scénariques et donc des reliquats du protocole.  Ces séquences particulières et stéréotypées indiquent que le client est dans son scénario ou qu’il y est entré.

Le signe n’est pas le scénario, ni le protocole, il est une porte qui s’ouvre sur le scénario et le protocole. Signe qui renvoie à l’expérience infantile archaïque de la personne. Ainsi, un signe associé à un autre signe, à un autre signe déroule et forme l’ensemble du processus scénarique.
Steere appelle donc protocole, la séquence de comportements corporels, signes scénariques ou séquence d’attitudes (scénariques).

Les sentiments parasites sont des comportements appris, associés au scénario qui entretiennent un état émotionnel récurrent. Pour C. Steiner, le sentiment parasite représente le bénéfice du jeu. Pour Berne, il permet de justifier ce que le scénario invite à faire. Il a à voir avec les décisions de scénario et répond aux injonctions parentales. Il sert également à extorquer des SDR + ou – selon le scénario de la personne. Pour Fanita English, le sentiment parasite est exprimé à la place du sentiment naturel et originel inacceptable par le parent. Le sentiment parasite étant plus acceptable que le sentiment authentique. Pour Erskine et Zalcmann, le sentiment parasite est intégré à un système de croyances, de sentiments, de manifestations parasitaires et de souvenirs renforçant. Fanita English pense que le jeu n’apparaît que si le sentiment parasite échoue à susciter la réaction coutumière.

Exemple théorico-pratique : Quand j’ai peur, maman me raconte une histoire ou  me tient la main. Il arrive que je ressente que ce geste de maman ne fait pas baisser ma peur, mais au contraire la renforce. Je comprends donc qu’exprimer ma peur ne permet pas à maman de me protéger. Je me sens peut-être triste que maman ne puisse me protéger. Je vais donc exprimer ma tristesse et étonnamment quand je fais cela, j'obtiens un signe de reconnaissance plus agréable que précédemment. Je comprends que la tristesse apporte plus de solutions que la peur. Je vais donc exprimer ma tristesse à la place de ma peur. Imaginons, qu’un jour de peur, maman ne me réconforte pas comme j'en ai besoin et que je ressente de la colère. Je l’exprime et obtiens plus de SDR en moins de temps que j'en en ai obtenu avec la tristesse. Alors, je vais peut-être exprimer la colère à la place de la peur. Et si rien ne marche, je pourrais toujours devenir folle, dépressive ou me renfermer dans un mode autistique. Cette dernière tentative me protège des réponses inadaptées de ma mère (mère est ici le terme générique pour parler de la personne qui est sensée prendre soin de l'enfant au quotidien) et m'invite à répondre aux injonctions, aux drivers et prendre des décisions de scénario. Il vaudra toujours mieux recevoir des SDR en toc plutôt que rien du tout.

Exemple clinique : Alexandra fait la tête. Rémy est surpris et souhaite mettre du sens sur son ressenti face au visage fermé d’Alexandra. Il va donc lui demander des explications.
Si Alexandra et Rémy avaient travaillé sur leur scénario :
- Rémy : Quand ton visage est ainsi, j’ai peur parce que je suppose que tu es en colère contre moi d’être arrivé en retard.
- Alexandra : C’est vrai, je suis un peu en colère. Parce que cela me rappelle mon père qui arrivait toujours en retard et cela me mettait en colère parce que du coup, je n’avais jamais de temps avec lui. Et je sais bien que tu n’as pas eu beaucoup de retard, mais voilà, cela me rappelle que nous n’avons pas beaucoup de temps ensemble.
- Rémy : Je suis désolé de te renvoyer ce souvenir. Je ferais attention d’arriver à l’heure parce que c’est important pour toi et parce que je me rends compte que nous ne passons pas beaucoup de temps ensemble à cause de nos travails respectifs. Penses-tu qu’il y ait une solution ?
- Alexandra : Je ne crois pas que l’on puisse moins travailler puisque ce n’est pas nous qui décidons de nos horaires, alors peut-être que si je ressens de l’agacement, je devrais plutôt t’appeler sur le trajet pour qu’on puisse commencer à être ensemble avant que tu arrives à la maison, qu’en dis-tu ?
- Rémy : Cela me ferait plaisir, mais c’est dangereux de conduire en téléphonant. Je peux te proposer plutôt de t’envoyer un sms à 17h pour te dire un petit mot gentil ou de t’appeler pour de faire un bisou par téléphone et te dire à quelle heure je pars.
- Alexandra : Oui, essayons ça, cela me permettra d’attendre en toute tranquillité et de ne pas être en colère contre toi alors qu’au fond je suis en colère contre mon père ! J’aurais aimé pouvoir lui dire tout ça et qu’il me propose ce que tu m’as proposé. Merci, je comprends qu’il vaut mieux qu’on parle plutôt que de faire la tête.

Le sentiment parasite est pour Steere une phase observable du protocole. Il apparaît comme :
-          Un mouvement vers le début du jeu
La colère d’Alexandra se manifeste sur son visage fermé et son silence.
Le retard de Rémy accroche Alexandra dans le jeu
-          Un compagnon au bénéfice du jeu
En son for intérieur dans le jeu, Alexandra se dit : Décidément, on ne peut pas compter sur les hommes (les hommes ne respecteront jamais mes besoins)
En son for intérieur dans le jeu, Rémy se dit : décidément, je ne peux être libre
-          Des sentiments familiers qui ont dominé toute notre vie
Alexandra ne pouvait pas exprimer sa colère à son père, au lieu de ça elle nourrissait du ressentiment envers lui (et tous les hommes)
Rémy ne pouvait exprimer à ses parents son désir d’être autonome, au lieu de ça, il se mettait en retrait, arrivait en retard, oubliait de ranger sa chambre pour garder un peu de pouvoir sur sa vie tout en répondant à l’injonction parentale : Ne grandis-pas

Alexandra et Rémy dans le jeu (quand le scénario n’est pas mis en conscience) :
-        Rémy : Tu fais la tête ?
-        Alexandra : Non !
-        Rémy : Ah ! On dirait pourtant !
-        Alexandra : Je te dis que non.
-        Rémy : OK
-       Alexandra : J’en ai marre. Tu es toujours en retard à la maison. On dirait que tu ne veux pas me voir, que tu m’évites. Tu ne fais rien ici. On dirait que tu ne veux pas passer de temps avec moi. C’est toujours pareil, tu pourrais quand même…
-      Rémy : Eh oh ! Je te signale que je ne suis pas un gosse ! J’avais une réunion au travail. Je ne peux pas partir comme ça !
-        Alexandra : ça te coute quoi d’envoyer un sms pour dire que tu seras en retard.
-        Rémy : Je t’en ai envoyé un la semaine dernière !
-        Alexandra : Oui et est-ce que je me suis énervée ?
-      Rémy : Non, mais ça ne change rien. Tu es toujours en colère contre moi. Quoi que je fasse (Rémy claque la porte)

Le jeu a apporté la possibilité à Alexandra d’exprimer son sentiment parasite (la colère) et d’obtenir une nouvelle bonne raison de penser que les hommes ne peuvent répondre à ses besoins et qu’elle est impuissante face à cela (nourrissant sa colère non exprimée à son père). Le jeu a apporté le possibilité à Rémy d’exprimer son sentiment parasite (la colère) et d’obtenir une nouvelle bonne raison de penser que décidément il ne peut faire ce qu’il veut et que les femmes cherchent à le contrôler (nourrissant sa colère non exprimée directement à sa mère). Aucun des deux dans cette situation n’a exprimé le sentiment authentique (le désespoir qui se cache derrière la colère) puisqu’il semble interdit et continu de répondre aux injonctions parentales.

L’attitude scénarique représente une réaction corporelle caractéristique et prévisible d’un comportement qui répond à une injonction et est donc un signe scénarique.
Alexandra fait la moue. Ceci devrait alerter Rémy sur le jeu à venir et le renseigner sur ses propres attitudes scénariques qui ont accroché Alexandra.


Steere distingue 6 attitudes scénariques :
Attitude
Injonctions
Contre-injonctions
Programme
Position
Bénéfice de scénario
Prescription
Protectrice
La personne couvre son corps, croise les jambes, les bras
Ne sois pas proche
et parfois
Ne grandis pas
Sois fort(e)
La personne cherche à être compétente, à réussir et à se mettre à distance
Moi +,toi -
Solitude
La personne devrait explorer ses sentiments vis-à-vis d’autrui (et de l’autre sexe)
Et expérimenter des solutions concernant l’intimité
Diminutive
La personne se tasse ou se rapetisse
Ne grandis pas
Fais-moi plaisir
La personne fait beaucoup d’efforts pour réussir, mais échoue
Moi -,toi +
Obtenir des soins
La personne devrait faire des expériences avec les muscles en extension plutôt que fléchis et contractés
Ascendante
La personne se grandit de façon excluante ou restreignante
Ne sois pas un(e) enfant
Parfois
N’existe pas
Ne réussis pas
Ne sens pas
Sois forte
Sois parfaite
La personne tente de prendre soin de tout le monde
Moi +,toi -
Vois combien d’efforts j’ai faits
La personne devrait poursuivre la satisfaction de ses désirs et besoins à elle (Enfant)
Discordante
La personne manque de naturel, de coordination, de grâce dans sa position ou ses mouvements
Ne sois pas toi-même
Fais-moi plaisir
La personne fait des efforts prolongés pour faire ce que veut l’autre ou fais le sacrifice de ses désirs notamment sexuels
Moi-, toi +
Sans amour
La personne devrait se donner la permission de montrer sa grâce et sa beauté naturelle
Passive
La personne parait souvent effondrée, en retrait, en dehors, en arrière, résignée
Elle peut être bienveillante ou anguleuse
Ne réussis pas
Ne grandis pas
Ne fais pas
Sois parfaite
La personne ne fait rien  ou entre en rébellion
Passive-agressive
Moi -, toi -
Echec
La personne devrait enclencher et investir l’Enfant naturel exclu
Immobile
La personne parait immobile ou rigide
Ne sens pas
N’ai pas d’attache
Fais efforts
La personne lutte pour survivre et éviter la désapprobation
Moi -, toi -
La personne obtient du rejet
Encourager le mouvement et l’expression

Selon Steere, le scénario se forme entre 2 et 7 ans au stade préopératoire (Piaget).
« La fonction symbolique est utilisée pour exprimer tout ce qui, dans l’expérience de l’enfant, ne peut se formuler et s’assimiler par le langage. » Ainsi, l’évènement peut s’historiser, entrer dans le temps et permettre de nouvelles façons de faire.

Le protocole est le produit de l’intériorisation des schèmes sensorimoteurs (< 2ans),  de la pensée intuitive de notre expérience primitive de vie associée aux schèmes symboliques privés inaccessibles à la communication et à la compréhension verbale.

Les interventions thérapeutiques :
1.       Porter l’attention sur le corps : les attitudes et les mouvements
Le thérapeute attire l’attention du client sur son corps, ses attitudes, ses mimiques (que le thérapeute a déjà repéré comme des signes). Il peut le faire en nommant et en imitant et en demandant au client de reproduire volontairement la mimique en l’interrogeant sur son ressenti quand il fait cela.
2.       Explorer le sens/la compréhension du mouvement
Le thérapeute insiste sur la mimique. Il demande au client de dire les pensées et sentiments qui viennent sans chercher à savoir pourquoi ils sont là. Quand la personne est complètement dans le mouvement et dans l’Enfant, elle est prête à redécider. Attention, la redécision peut venir de l’Enfant adapté, il est donc important d’explorer aussi la deuxième position opposée à la première pour savoir ce que le client sent de ce côté-là et quel sens cela a pour lui.
3.       Expérimenter des attitudes et des mouvements différents
Inviter le client à se positionner différemment (dans la position du gagnant) et voir ce que le patient ressent, et l’inviter à nommer ce qu’il sent.

C’est le jeu symbolique qui permet la redécision lorsqu’une personne revit la ou les scènes originelles du protocole.

Au niveau du protocole, on retrouve les besoins déçus de l’Enfant. L’expérimentation permet de les mettre à jour et de trouver les moyens adéquats pour répondre aux besoins initiaux ou selon Steere, maîtriser la situation de manière appropriée, la compléter ou la conclure.

Pour étoffer cet article sur le protocole et l'utilisation de ce concept en thérapie, vos questions, commentaires et expériences sont les bienvenus.

Karine Danan



[1] BERNE, Eric, Analyse transactionnelle et psychothérapie,  Payot, p.119
[2] OATES, Steff, L’impact de l’absence et l’aspect ineffable du protocole, A.A.T n°152, 2015/4, p.19
[3] NOE, Anne, La relation thérapeutique dans le traitement des traumatismes précoces, A.A.T n°152, 2015/4, p.41
[4] CONTAMIN, Emmanuel, Guérir de son passé : avec l’EMDR et des outils d’autosoin, Odile Jacob, 2017.
[5] CORNELL, W.F & LANDAICHE, M.N, Impasse et intimité dans le couple de travail en thérapie ou en conseil : l’influence du protocole, A.A.T n°120