jeudi 8 juin 2017

Le moi, le rôle et la personne : différences et interférences

Notes et réflexions d'après l'article d'Alain Crespelle – A.A.T 52- Octobre 1989 – p.173

Ici, nous étudions le concept de rôle à différencier de la personne et du moi. Nous verrons également comment le rôle et le moi peuvent entrer en conflit en fonction d’autres éléments tels que : les enjeux, les besoins, le statut, les positions relatives, les états du moi, les interactions…

La personne = le moi + le rôle + le projet

Vous savez que vous êtes vous. Pourtant, parfois vous dites : je n’ai pas l’impression d’être moi ou je ne suis pas moi… Et cela vous le dites en vous sentant mal. Cela fait beaucoup d’énergie dépensée à cacher ce que vous êtes en jouant un rôle en même temps. Si vous n’aimez pas le mot rôle, en voici la définition du Larousse :
1.       Ce que doit dire ou faire un acteur
(C’est celle que la plupart d’entre nous retiennent = faire semblant)
2.       Fonction, influence que l’on exerce
(C’est celle dont nous parlons ici)

Nous pouvons déjà distinguer le moi du rôle. Le rôle étant lié à la fonction et le moi à l’être. La personne devenant alors l’addition des deux dans un projet multiplié par les enjeux, les besoins…

Nous pouvons distinguer le moi du rôle que nous jouons dans le projet. Le projet étant ce que nous faisons (ensemble ou dans un ensemble puisque nous ne vivons pas seul sur une île déserte). De ce projet nait un enjeu, plus ou moins fort. Cela peut être de gagner, de perdre, d’avoir, de réussir ou d’échouer.

Les interactions que nous avons avec les autres vont influencer le rôle, le moi et l’enjeu. Attention, l’interaction n’est pas la relation. L’interaction est ce qui se passe entre moi et l’autre dans l’institution (au bureau, dans la cuisine, en réunion, avec son thérapeute, avec ses amis…). Dans l’interaction, je suis dans le rôle face à un autre lui-même dans un rôle : le professeur et son élève, le patron et l’employé, la boulangère et le client… La relation, elle, parle de l’aspect psychologique et affectif de l’être ensemble (moi + toi = amour).
Bien sûr la relation et l’interaction sont en corrélation. C’est bien moi dans mon rôle de thérapeute. C’est pour ça que je suis unique, différente de mon confrère, lui-même unique en son genre. Ces interférences que sont le rôle sur le moi, le moi sur le rôle, l’enjeu, l’autre, définissent en grande partie notre fonctionnement. Même si je suis joyeuse, je ne vais pas sauter partout dans mon cabinet. Et si je suis triste, je ne vais pas me mettre à pleurer. Je vais attendre d’avoir fini ma journée de travail. Je suis dans mon rôle de neutralité, d’accueil, d’analyse… (cela ne veut pas dire que je joue à être thérapeute au sens d’être actrice (play), cela signifie que j’ai une fonction : psychopractien (part). L’un et l’autre interagissant et formant la personne que je suis.

Ainsi, je peux agir, réagir, penser, sentir, vouloir différemment en fonction du projet, du rôle ou du moi, de la situation, des personnes avec qui je suis tout en continuant d’être moi ! C’est la grande question posée sur la personnalité. La personnalité n’étant pas la personne.

Voyons ce qui nous fait si différent tout en étant toujours nous. Notre comportement, nos façons de penser, nos sensations, nos émotions dépendent de la façon dont nous nous percevons vis-à-vis de l’autre, comment nous percevons l’autre, l’estime que nous avons de nous vis-à-vis de cet autre ou de la situation, de la situation elle-même, des qualités que nous attribuons à nous-mêmes et aux autres ou à la situation (savoir, beauté, savoir-faire, habileté, argent, couleur, handicap…). Nous pouvons alors nous sentir supérieur, inférieur, égaux.

« Nous serions donc les supérieurs ou les inférieurs des autres à raison de ce qui nous différencie. »

De ce qui nous différencie, pas vraiment, plutôt en fonction de l’enjeu que nous mettons dans cette différence ou du jeu auquel nous jouons, jeu duquel nous pensons que nous sortirons gagnant ou perdant.

Plus loin, l’auteur de l’article évoque que la parole est une source de sens, qu’elle dissipe les peurs et les opacités (ce qui est opaque, confus, mal visible), elle engendre la tolérance. Elle permet également de ne pas confondre le rôle et la personne, l’enjeu de la victoire ou de la défaite, la vie et la mort. La parole, celle qui se dit. Celle qui clarifie.

L’enjeu est lié à une épreuve. Cette situation, cet événement que nous allons vivre, que nous vivons ou que nous avons vécus. L’épreuve peut être vécue comme une compétition avec des enjeux. Pour que l’épreuve ne devienne pas la compétition, elle doit contenir des règles claires ou elle doit comprendre un arbitre auquel cas « naît la peur des conséquences de l’échec et se développe le népotisme, les abus et l’iniquité ». La règle est la loi, une loi protectrice et non contraignante.
Ainsi, ce feu rouge qui nous empêche de passer quand bon nous semble, n’est pas seulement un rempart contraignant, il est aussi une protection. Il nous protège de l’accident parce qu’un autre au carrefour pourrait tout comme moi vouloir passer à tout prix. Qui de nous deux passera le premier, comment arbitrer sans arbitre. Sans feu, les faibles passeront après ou seront liquidés et Darwin aura son dernier mot. Nous pouvons tout à fait laisser l’homme se tuer ou en prendre le risque, laisser ceux qui se sentent supérieurs diriger, ceux qui ont la volonté de diriger abuser. Ou nous pouvons inventer un arbitrage humaniste qui ne nous laisse pas abusés, ni nous entre-tuer. Instaurer des règles protectrices. Cela est valable pour nous-mêmes. Parce que nous-mêmes vivons nos propres conflits intérieurs. Le rôle est ainsi parfois en compétition avec le moi, avec le statut…

Pour rester affranchis des jougs de la compétition, nous pouvons répondre à ces questions :
1.       Dans cette relation (à l’autre, au travail, au monde, à un projet) que puis-je craindre pour moi quand cette relation sera finie ?
Réponse :           De souffrir, d’être triste, de perdre, de me retrouver seul…
2.       Suis-je prêt à échouer dans cette entreprise sans me déconsidérer ?
Réponse :           Oui, je peux échouer sans me traiter d’incapable.
Non, je vais me dire que je suis un incapable.
3.       Suis-je prêt à gagner sans déconsidérer les autres ?
Réponse :           Ah ah ah, ce sont tous des incompétents !
                               Oui, parce que ce que je fais, je le fais avant tout pour moi-même.

Si je suis prêt à être triste sans me traiter d’incapable et traiter les autres de nuls, alors ma tristesse fera son chemin. Si au contraire, je reste dans la colère de ma défaite, je tournerais en rond dans celle-ci et resterai dans la compétition avec moi-même. Je pourrais glisser dans le désespoir et me prouver que j’ai bien raison de penser ce que je pense de négatif de moi, des autres ou du monde.

Qui n’a jamais eu de défaite ? Connaissez-vous une personne de près ou de loin qui a déjà échouée ? Si oui, alors vous savez qu’il y a au moins une personne qui a connu la défaite. Connaissez-vous au moins une personne qui s’est sortie de cette défaite ? Si oui, alors vous prouvez qu’il est possible d’en sortir. Si une personne l’a fait, c’est que vous pouvez le faire. Si personne ne l’a déjà fait, vous pouvez quand même tenter le coup.
Quitter la compétition, c’est souvent, parfois entrer dans le doute.

« Le doute fortifie l’homme sage s’il ne s’en sert pas contre lui »

Ainsi, je peux douter sans me taper sur la tête. Ainsi, je me rends plus fort et capable de réussir et non de gagner. On ne gagne pas sa vie comme on dit, on la réussit. Seul le fou peut escompter gagner sans prendre de risque. Le risque fait partie de la réalité du non fou, de vous, de moi, des gens. Personne n’a dit qu’il n’y avait aucun risque, le croire c’est croire au père Noël, sombrer dans le pessimisme c’est se servir du doute pour s’enfoncer, c’est croire à la sorcière. Dans ces deux extrémités, nous ne sommes plus dans le réel.

Selon J.Stoetzel, la relation interpersonnelle est dépendant d’un contexte social, d’une institution, d’une culture.

Exemple : Je me souviens de mon arrivée dans la région et de la question de mon patron : Es-tu timide ?
Non ! (Je ne crois pas l’être). Alors pourquoi ne vas-tu pas serrer des mains tous les matins ? Je ne savais pas les meurs et coutumes ! Ma réponse l’a laissé sans voix. J’ai fait le choix d’intégrer cette institution et cette culture qui n’était pas la mienne. Du sens, je n’en ai pas mis, car j’ai gardé en moi (et non dans mon rôle) le non-sens de cette pratique et le sens d’une autre qui consistait à dire simplement bonjour. Chacun recevant le bonjour avec gratitude parce que c’est ainsi que l’on fait chez nous. Ce n’est pas le cas ici et notre façon de dire bonjour n’a pour eux pas de sens. Nous confrontons nos différences. Je restais profondément ancrée dans ma culture tout en m’adaptant dans mon rôle à mon environnement présent. Assez rapidement et sans effort cette culture est devenue une nouvelle part de moi, du rôle et finalement de ma personne. Quand je retourne dans mon ancien environnement, je redis bonjour avec simplement ma voix. Quand je reviens ici, je retends ma main. J’ai intégré la différence, non dans une adaptation à l’enjeu, mais dans la mesure des conséquences sociales d’une non-acceptation de la différence.

Le projet institué est la situation sociale (familiale, politique, professionnelle, culturelle…) et il oriente la vie des personnes. Ainsi, depuis que je serre des mains tous les matins, j’ai découvert des gens que je ne connaissais pas et que je n’aurais jamais imaginé connaître. Ma situation sociale a changé. Bien ou pas ? Peu importe pour l’instant. Ce qui importe est de savoir qu’il n’y a pas de relation interpersonnelle sans projet institué.

Le rôle existe parce qu’il y a un rapport entre un actif et un réactif (le client et le thérapeute, le patient et le médecin, le professeur et l’élève…) Le projet détermine le rôle et c’est de ce projet – et de ce rôle – que naît l’enjeu de perdre ou de gagner, de réussir ou d’échouer. Si je n’avais pas serré des mains ici dans ce projet institué, j’aurais été évincée, mise de côté, sortie de la situation sociale.

L’enjeu du rôle ne doit pas être confondu avec l’enjeu existentiel. Ce dernier est lié à notre soif de stimuli, de caresses et de structure. L’enjeu peut-être d’être acceptée, reconnu, rejeté, dénié, préféré ou négligé. Je dois avouer que l’enjeu existentiel qui m’a fait accepter le projet était d’être non rejeté. Je ne dirais pas acceptée, car ce n’est pas cela qui était/est ma recherche, mais bien d’être là sans être rejeté, juste là où je suis, dans la liberté ressentie d’être là où je souhaitais être.

Cette distinction entre l’enjeu existentiel et l’enjeu lié au projet me semble primordial. Parce que ce que je fais dans mon rôle n’est pas toujours en adéquation avec moi.
Exemple : Dans mon rôle de praticienne, je ne me sens pas l’envie, le désir ou même la possibilité de juger un client qui viendrait me faire par d’une valeur que je ne partage pas. Je l’accepte comme il est avec bienveillance. Certes parfois, il peut m’agacer, mais qui agace-t-il ? Le thérapeute ou le moi ? Revenons à ce client dont les valeurs ne sont pas en adéquation avec le moi. Comment pourrais-je être dans mon moi tout en l’aidant à être. Si j’étais dans mon moi, je lui dirais qu’il a tort ou tu ne vois pas que tu fais souffrir ton entourage en faisan cela. Dans mon rôle je lui dis : Qu’est-ce qui fait que c’est cela que vous croyez ? Est-ce bon pour vous ? Pour votre entourage ? Est-ce cela que vous voulez ? Étonné de ma question, il me répond, je ne sais pas si c’est cela que je veux, mais c’est cela que je dois faire ! J’entends ici le rôle parler. Mon travail consiste à l’aider à clarifier, à distinguer le rôle du moi afin qu’il puisse s’apercevoir probablement de l’impasse dans laquelle il est, impasse qui le mène ici devant moi : je dois le faire/je n’ai pas envie (que diront les autres de ma personne si je ne le fais pas).

Quand quelqu’un dit : Je n’ai pas l’impression d’être moi-même, c’est un indice que cette personne reste accrochée au rôle et aux enjeux existentiels. Je veux gagner pour être reconnu. Quand je gagne, je n’ai pas l’impression d’être reconnu puisque c’est le rôle que l’on reconnaît et non le moi (mon existence propre). Chacun cherche avant tout à répondre à ses soifs existentielles. Le rôle vient appuyer ou malmener ses soifs. Dans le meilleur des cas, le rôle appuie.

Le rôle que l’on tient dépend du statut que l’on a (décor ou facteurs périphériques). Le statut = signes extérieurs (cadre de vie, voiture, fonction, rang, appartenance…)

Je me sens OK avec moi quand les enjeux sont comblés
Vitaux, fondamentaux
Manger
Dormir
Boire
Bouger

Existentiel
Caresses
Structure
Stimuli

Rôle
Réussir
Échouer
Gagner
Perdre

Statut
Fonction
Rang
Cadre de vie
Je me sens OK avec les autres ou le monde quand les EDM sont en accords avec les positions relatives
EDM
Valeurs
Règles
Lois
Désir
Objectivité

Positions relatives
Supérieure
Pairs
Inférieure

Positions de vie
+/+
+/-
-/-
-/+

Je me sens OK quand tout cela s’additionne. Je ne me sens pas OK quand ces niveaux sont en désaccords.

Imaginons que vous ne pouvez pas accéder à vos besoins vitaux (manger, dormir…), il est fort probable que vous vous sentiez mal sauf si peut-être tous les autres niveaux sont au beau fixe. On dit bien qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche. Oui, mais ça ne va qu’un temps, il faudra bien à un moment combler ces besoins fondamentaux auquel cas la maladie ou la mort montrera le bout de son nez.

Attention : Il ne faut pas confondre les positions relatives et les positions de vie. Les positions de vie sont des positions personnelles (globales) stables établies dans l’enfance. Ainsi, je peux de façon générale avoir tendance à me positionner dans le -/+ et pourtant dans une situation donnée ou avec une personne en particulier, je vais entrer dans une position relative supérieur/inférieur. La position relative est liée à la situation, pendant que la position de vie est liée au scénario. Bien sûr, si je me mets à jouer, je vais mêler les deux ! La position relative peut changer au cours d’un échange et dépend du contexte, du statut également.

Les indicateurs de statut sont les insignes, les uniformes, les privilèges (VIP), les handicaps, les marques de savoir (professeur, sachant…), de savoir-faire…

Les interactions peuvent donc être :
1.       Complémentaires égales : pairs
2.       Complémentaires inégales : supérieur/inférieur
3.       Croisées supérieures : Supérieur/Supérieur vers inférieur/inférieur
4.       Croisées inférieures : inférieur/inférieur vers supérieur/supérieur

Le mal-être vient d’un décalage entre position relative et EDM et de la confusion des enjeux
Exemple : Être reconnu en ayant un poste plus élevé. Se dire que nous ne sommes plus aimés parce que notre formateur préféré ne nous a pas donné notre diplôme.

Plan de traitement pour les thérapeutes : Caresses négatives conditionnelles, caresses positives inconditionnelles, permissions à volonté.

« Tout système vivant doit s’organiser pour survivre
et la structure hiérarchique est une forme universelle de l’organisation »
Ainsi, personne n’a dit que la vie était simple. Si vous la voulez simple, mettez-vous au travail ! Ou valorisez les différences par le contact et l’attachement, la recherche de l’autonomie, la coopération et le respect.

K.Danan



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